Yayoi est parfaite. Absolument sans tache. Dénuée d'une fioriture mal dégrossie, débarrassée de la moindre boursouflure de superficialité. Elle ne fait rien de travers, évite les faux pas avec minutie, et affiche une image extraordinairement lisse. Elle se comporte selon le protocole qu'elle a fixé en toute situation -rien ni personne ne saurait l'en détourner. Affable et obéissante, elle n'en demeure pas moins inaccessible à l'extrême, et arbore un visage invariablement froid. Aux dires de tous cependant, c'est un être adorable, exquis et élégant.

Rien n'a jamais été plus faux. La Yubari est un bandit, une saloperie, une pourriture sans nom. Tout lui semble sujet à moquerie, à dérision ; mue tant par l'intérêt que par une sorte d'instinct vicieux qui la pousse à faire du mal pour son propre plaisir, elle se sert de l'image qu'elle a forgée en bonne calculatrice comme d'une couverture pour ses jeux malsains. Yayoi se fout de vous parce que ça lui fait prendre son pied. Voilà tout. Son héroïne, c'est le mépris : sans sa dose quotidienne, elle devient incontrôlable, ingérable, furieuse et hystérique. La répugnance malsaine que lui inspire le monde qui l'entoure tendrait presque à faire dire qu'elle se construit sur le mode de la détestation : elle tue son ennui par la haine et toute sa vie s'articule autour d'elle.

Allez, n'ayez pas peur : elle ne va pas briser sa couverture pour vous. Profitez.

Yayoi a toujours traîné dans des coins pas nets. Pour être parfaitement honnête, ça doit être génétique : avant même qu'elle ne soit née, ses parents n'étaient pas nets non plus. En clair, si vous avez compris, tout ça n'est vraiment pas très net.

Disons qu'ils tenaient une boîte de com sur Tokyo et qu'ils ont toujours traîné dans des affaires sordides. Leur fille en gardera deux traits : le goût pour la manipulation de l'opinion, et des contacts dans les milieux mafieux. Pas qu'elle en fasse usage souvent, mais entre bonnes crapules, il y a parfois entente cordiale. Ce joli détail mis à part, elle n'a jamais été quelqu'un de très Cosette : les vies minables et les orphelinats, c'est bon pour le prolétariat et le menu fretin. Vous noterez d'ailleurs qu'elle se fout allègrement de la gueule des traîne misère qui, décidément, ont envahi le cinéma et commencent à lui sortir des yeux. Cette sale vieille bande d'emos n'a qu'à aller crever.

Outre un milieu familial prompt à s'épanouir comme une fleur de sagesse et de dévotion, la fille Yubari dispose d'un autre atout : le fric. Toute gosse déjà, elle a fait en sorte d'emmerder suffisamment ses deux quiches de darons pour qu'ils lui filent tout ce qu'elle voulait -moyennant des résultats excellents aux divers examens qu'elle obtenait autant par ses capacités intellectuelles que ses compétences en faux et usage de faux. Alors, avec l'habitude de pouvoir satisfaire le plus insignifiant de ses caprices, elle s'est mis en tête de devenir mannequin : parce que, vous voyez, le milieu des affaires, c'est devenu un peu moyen. Force est de constater qu'elle avait un don inné pour ça : présentant bien et bénéficiant du retour de hype des héritiers chics et un peu golden boys, elle a surfé sur la vague des tops hypermédiatisés et a étalé sa vie de château partout sur internet ; pour autant, il n'était pas question pour elle d'être une personnalité excessivement scandaleuse -ça vend mal- ou une jet-setteuse agitée du cortex détestée du public au bout de deux semaines -ça vend encore plus mal-. Elle s'est donc résolue à cacher définitivement la cocaïne sous le tapis du salon et à se faire une image en béton. Ça a plutôt bien pris, et Yayoi est maintenant l'une des tops qui monte et qui espère secrètement rejoindre ses consoeurs européennes à la fashion week de Paris. Actuellement, Tokyo lui suffit et elle trouve ça très bien. Tant mieux pour elle.

Depuis peu, elle diversifie ses activités en apparaissant dans des campagnes publicitaires pour de grandes marques de prêt-à-porter et, à défaut de pouvoir vendre ses pieds à Tarantino, vivote dans des productions triées sur le volet qu'elle espère le moins mainstream possible. Elle a récemment updaté son blog pour y ajouter des anecdotes distillées sur un ton badin à propos de l'université de Tokyo, où elle étudie depuis peu, ainsi que des photos terriblement mignonnes de gentils japonais qui posent pour elle dans la rue en la reconnaissant. Dernièrement, elle y a publié une liste de conseils pour personnaliser son uniforme, ainsi qu'une liste de bonnes adresses pour s'habiller comme une top (où elle a des intérêts, sinon, pensez donc qu'elle s'en battrait les trompes).