Shun, c'est le genre de mec qui se lève à 6h pour faire son jogging afin de bien commencer la journée.
Serviable est un adjectif qui lui correspond. Pas bonne poire ou pauvre truffe, si quelqu'un essaie d'abuser de sa gentillesse, il le sentira passer.
Il ne fume pas, il ne se drogue pas et il boit modérément. Pourquoi ? Pour pas ruiner son corps, parce que c'est son outil de travail.
En amitié, il est loyal. Pas forcément toujours très délicat, voire parfois trop franc mais il déteste mentir ou laisser un de ses amis s'engager sur une mauvaise voie.
En amour, il est fidèle. Si l'autre partie l'est. Les compromis, les relations équilibrées etc... Tout ça, il est pour et il fait même des efforts. Sauf que pas question de faire des efforts pour des prunes.
Il travaille et méprise ceux qui pensent que tout doit leur tomber tout cuit dans la bouche.
Pas mystérieux, mais discret, Shun n'aime pas faire parler de lui autrement que par son boulot. D'ailleurs, il n'évoque que très rarement sa famille ou son passé. Par contre, il s'attardera volontiers sur tout ce qui touche au hip-hop.
Impulsif, Shun l'était à son arrivée. Si vous touchiez à une corde sensible, il vous aurait explosé à la figure. Seulement quelques petits soucis lui ont fait comprendre que ça ne pouvait pas durer et pour évacuer, il a commencé à pratiquer la boxe. C'est comme ça qu'il se débarrasse de toute énergie négative deux ou trois fois par semaine.
Toutefois jouer la comédie n'étant pas trop dans ses cordes, il se contente de devenir froid ou distant. Mais toujours en étant extrêmement courtois.

A 20 ans, dire adieu à sa ville natale lui déchirait le cœur. Bien sûr, une excitation palpable dévalait dans ses veines, mais les souvenirs affluaient dans sa tête. Sur le quai de la gare, ses yeux couraient sur les autres usagers. Les couples, les familles, les groupes de jeunes ou les solitaires. Certains arboraient des costumes impeccables. D'autres, des tenues bien plus décontractées. À l'autre bout de la ligne, Tokyo se dressait. Mère porteuse de ses rêves, cristallisation de tous ses désirs. Partir sur la capitale n'avait pas été une décision prise à la légère. Pendant un an, Shun avait tout préparé avec l'aide de son frère aîné. Junpei le soutenait depuis qu'il était petit et c'était grâce à lui que leurs parents avaient fini par accepter son choix de carrière.

Pourquoi ne vas-tu pas à la fac ? Il y a des tas de jeunes comme toi, tu ne penses tout de même pas percer, si ? Les Kimura n'éprouvaient que de la honte face à ce métier lié à un univers superficiel. Où tout pouvait basculer du jour au lendemain. Pour des broutilles. Ils ne voulaient pas le laisser s'empêtrer face à ce miroir aux alouettes. Ils ne voulaient pas d'une vie instable. Le potentiel de leur fils ? Ils s'en moquaient. Pourtant depuis ses 8 ans, Shun avait toujours activement dansé. Dès ses 13 ans, il avait créé une petite bande avec des amis. Leur petite troupe reprenait ses chorégraphies. Fêtes de l'école, fêtes de quartier ou autre, ils ne rataient aucune occasion pour danser. À la fin du lycée, ils avaient décidé de filmer leurs performances et de les mettre en ligne. Toutefois au sein de leur petit groupe, les ambitions de chacun apparaissaient petit à petit. Certains rêvaient d'être chanteur, d'autres voulaient rester dans la danse tandis que deux préféraient ne garder leur activité que comme un passe-temps.

Ces différences avaient rongé leur petit groupe, mais ils avaient choisi de se serrer les coudes et s'étaient faits la promesse de ne pas se trahir. Shun ne démordait pas de son projet. Et ce n'était pas grave, s'il ne pouvait pas évoluer dans l'univers du hip-hop, il était prêt à tout tant qu'il pouvait continuer à danser. Son univers de prédilection lui rappelait son frère aîné et l'influence que ce dernier avait eu dans sa vie, mais il fallait aussi s'émanciper. Les scènes locales ou les animations pour différents événements ne suffisaient plus. En cumulant plusieurs travaux, le jeune homme s'en sortait correctement. Il avait même fait quelques prestations dans des clips de groupes encore amateurs mais Shun rêvait de Budokan. De grandes salles et de défis. Quoi de mieux que Tokyo pour ça ?

Entre rêver et concrétiser un projet, il y avait un fossé. Un chemin parsemé d'obstacles que sa passion et sa motivation ne pouvaient pas faire disparaître dans un claquement de doigts. Il débarquait sans connaître les règles du jeu. Il courait les auditions avec une ferveur présente et lorsqu'il en décrocha une, Shun s'empressa de sortir son portable pour appeler ses parents. Mais le jeune homme n'alla pas au bout de son geste. Lentement, il referma le clapet et rangea l'appareil dans la poche de sa veste. Pas encore. Pas maintenant.

Ses premiers mois à Tokyo lui ouvrirent les yeux. La compétition, le moindre faux pas qui pouvait vous envoyer à la poubelle. Son manager ne se souciait pas de ses prestations ; Shun apprenait vite et bien ses chorégraphies. Seulement, quelques étincelles avec d'autres danseurs vinrent assombrir le tableau. Un avertissement, deux avertissements. Au troisième avertissement, son manager menaça de suspendre son contrat. À contre-coeur, car le jeune homme s'avérait assez malléable pour être même prêt à apprendre tout type de danse. L'homme en avait eu la confirmation, lorsqu'il l'avait envoyé avec d'autres danseurs dans des cours de salsa. Son agence avait réussi à placer quelques uns de ses artistes pour un gala qui nécessitait de savoir maîtriser cette danse.

Toutefois, ça ne réglait pas son problème. Pour l'instant, il avançait sur un fil prêt à tomber au moindre faux pas. Cette pression lui pesait et l'inquiétait.  Il n'était pas question d'en parler à un collègue. Ce dernier aurait peut-être utilisé ça contre lui. Alors Shun avait choisi de se confier à quelqu'un d'autre. Ueda-san, un ingénieur du son, qu'il avait rencontré plusieurs fois et avec qu'il avait sympathisé. L'homme n'avait pas été surpris par son souci et lui, avait donné rendez-vous dans une salle de sport. Amateur de boxe, il lui avait confié venir ici pour se défouler. Le jeune danseur hésita mais décida d'en faire de même. Plusieurs semaines plus tard, il semblait avoir trouvé son équilibre et les soucis avaient disparu.

Shun pouvait continuer à avancer.