FEAT. Yue la pute & Sora le dieu
Bip. Bip. Bip.
Quel son désagréable.



Et pourtant, cela s'égrenait depuis déjà une bonne heure. Tes doigts continuaient de tapoter piano, faisant apparaître puis disparaître une photo, puis deux, trois et peut-être une dizaine. Pas le moins du monde happé par une quelconque ou soudaine montée de nostalgie, tu supprimais les incongrues ratées sans aucun regret, les sourcils froncés pour signifier ta conscientise. Trop près. Trop sombre. Le coin est raté. Le flou trop voyant. Le modèle trop débutant.  L'ambiance trop manant. Décidément, tout était matière à polémiquer ces derniers temps. Malheureusement, tu n'avais guère les minutes pour approuver la mise en place d'un nouveau débat que la porte claqua contre le mur, laissant émerger une petite tête brune, un tas de dossiers sous la main et un planning qu'elle essayait tant bien que mal de retenir avec ses maigres bras. Pauvre femme !, oui, pauvre individu sous l'emprise imputrescible depuis déjà neuf ans d'un homme frivole et irréfléchi ! Tu ressentais une pointe de pitié envers les employés de ce Yamamoto, mais consentis à ne pas le juger en dehors de ses actes professionnels, plus pour un acte antipathique que pour te défiler. Tu préférais critiquer en silence pour, au moment opportun, brandir tes blasphèmes et ainsi tout clôturer en une fois. C'était con, mais fallait le faire pour en conclure le moindre fait pertinent.

Et c'est bien pour cela que tu te permets de lancer une œillade sur la petite dame, ne lui adressant aucune politesse, même pas un regard dans le blanc des yeux. Tes yeux se referment sur ce qu'ils aperçoivent. Soupir. Rien d'intéressant.

Allure volage. 
Talons qui claquent. 
Jolie minois de poupée.

Tailleurs serrés et décolletés soulignés, tu ne voyais que superficialités pour bien se faire valoir et arrondir ses fins de mois. Elle te tend ton du et tu le saisis, observant méticuleusement ce que consistait aujourd'hui ton exercice. Murasaki Yue. Ennuyeux. Comme c'est désagréable. Tu te détends sur ton dossier, les jambes reposées sur le rebord du bureau. Les feuilles tapissées dans une pile insondable et douteuse, le mug déjà enveloppé de la froideur et les bouteilles au sol inspirent déjà à l'inconnue depuis combien de temps tu étais resté à finir le travail de cet ingrat. Tu ne veux pas y aller. Tu ne veux pas y aller. Mais tu sais déjà que tu n'as pas le choix, que tu vas devoir supporter cet arriéré et en plus te taper la retouche de ses poses de gay. Ah, voilà un bien mauvais opinion que tu as de lui, mais il faut croire qu'entre vous d'eux, c'était purement physique puisque vous ne vous connaissez guère, et bien heureusement d'ailleurs, alors il n'y a nulle raison pour que tu le dénies comme cela. Mais c'était ainsi. Comme chat et chien. Comme l'étranger d'ici et l'étranger de là-bas. Personnellement, tu pourrais dire à tous sans prétention ni pensée péjorative que tu le laisses dans son coin te bouder et feindre tantôt l'indifférence, tantôt la docilité, tantôt la débilité ou la répulsion -c'est encore ambigu, t'en foutant complètement et sincèrement de quel chauffeur pouvait bien te rapporter sa tête le premier. En fait, toi, tu n'as plus espoir qu'avec le temps cette situation s'arrange et que Murasaki et Hasegawa figurent dans un magazine afin d'être vantés de leur complicité. Ou alors, ça serait un joli poisson d'avril. Sourire. Si sardonique. Si sadique. Ton faciès se détend. Tu fermes les yeux un court instant. 

▬ Avertissez le personnel que je ne les attendrai pas sur les lieux du shooting, que tu cantonnes.

▬ Qu'on soit clair, Hasegawa. Je veux [...] vite [...] poser pour un con de ton genre.

Ça avait au moins le mérite d'être clair, en effet. Tu hoches la tête, en soupirant de lassitude. Si tout le monde pouvait éviter d'avoir la même philosophie que ce môme, peut-être que l'humanité ne subira pas un coma cérébrale dans quelques années ? Ô, quelle infamie... ! Depuis combien de temps étais-tu resté là, à l'attendre ? Suffisamment longtemps pour avoir photographié le sanctuaire dans son intégralité. Alors, tout naturellement, c'est avec une pointe d'agacement que tu accueilles la frustration sexuelle qui dégouline de ses acerbes paroles. T'en avais vraiment rien à fiche de ce mannequin de pacotille, et tu en convenais assez bien avec ton employeur qu'il fallait le virer de son petit trône. Et comme pour te venger de ses railleries, tu t'approches nonchalamment de lui, un gobelet dérobé à un gars lambda. 

WELL. Ching surtout. 
Afin de lui renverser sur la gueule. 

Ok Sora, que s'est-il passé ? Pourtant, t'es complètement serein. Au cas échéant, tu l'aurais déjà tabassé. Alors, je crois que tout le monde aimerait bien savoir ce que tu viens d'engendrer avec ce geste puérile, non ? Mais... oh ! À ta plus grande surprise, tu entends déjà les échos de tes assistants plaindre le pauvre bonhomme. Certains en rient. D'autres évitent de croiser vos regards. C'est cool, ça met tout de suite dans le bain. Quand tu voulais, hein ? Haha. Vas-y, dandine-toi donc.

▬ J'espère que tu as apprécié. On s'en fout surtout. Les adolescentes sont friandes de choses mouillées en été. Alors, joue le jeu, sourire platonique.

Tu abhorres tes jolies traits d'ange. Ceux d'un salaud surtout. Mais qui s'en soucie ? T'éloignant de lui, tu scrutes avec un air satisfait le pauvre homme. Ce qui est désolant, c'est que tu n'as nullement pitié pour lui. Alors, pour premier cliché, t'hésites pas vraiment à figer sa gueule de déterré une bonne fois pour toute. Sans rancune ?

▬ Essaye de te donner un air timide, de petit garçon faible. Je ne sais pas, on t'a bien appris des choses depuis, non ? Si tu n'es pas capable de rougir, je règlerai ça après. Une allure digne d'une tapette, comme Jiro quoi.