Cela aurait dû être une journée profitable.
C’était un mardi, j’avais deux commandes de robe à livrer. Bon, j’avais failli à mes obligations d’élève pour m’occuper de mes ventes. J’aurais sans doute mon prof principal et mon frère qui allaient m’engueuler à mon retour, mais rien à foutre. On avait besoin d’argent et il n’y avait rien de plus agréable de pouvoir être payé pour quelque chose que l’on faisait de ses mains. C’était sans doute pour ce que j’aimais autant la couture et la cuisine. Tout n’était qu’un agencement de tissus ou de goûts. A force de pratiquer, on découvrait de nouvelles astuces, de nouvelles manières de concevoir un produit. Tous les vêtements que je confectionnais étaient uniques grâce à un cahier des charges difficiles à tenir. Il n’y avait rien de plus stimulant que des clients exigent.

Même si ma clientèle était plutôt des femmes de la classe moyenne qui voulaient des vêtements sur mesure, j’avais réussi à me faire un nom chez leurs amis, j’étais Jiji la fée, parce que personne n’avait rencontré la créatrice. Ou plutôt j’avais pas DU TOUT envie qu’on sache que c’était le livreur qui dessinait leur accoutrement. Imaginez que ça se sache dans mon bahut, c’était juste trop la honte, encore plus que d’avoir un frère qui aime se faire prendre par l’arrière. Mais je n’y pensais pas sur le chemin. Je sifflais tranquillement une musique qui passait souvent à la radio, sans être capable d’en connaître le titre.

Cela aurait une bonne journée si cette salope sur son téléphone n’avait pas été sur ma route.

J’ai dû braquer mon guidon et user de mes freins déjà défoncé par mes nombreux dérapages forcée. Cette fois je ne faisais pas un vol planée, par contre mes boîtes  n’étaient pas assez solidement accrochées pour rester sur le vélo. J’aurais dû mettre de la corde dans l’autre sens. Dans un juron je voyais mes œuvres planer et se retrouver à terre. J’abandonnais mon destrier pour accourir à leurs rescousses priant qu’elles ne se feraient pas écrasées par des passants un peu stupides. J’arrivais à les récupérer sans trop de dégâts, finalement ce fut plus de peur que de mal. Toutefois je jetais un regard noir à la femme qui avait été coupable de mon écart, sifflant  avec animosité :

«  Toi, tu te rends pas compte à quel point j’aurais été dans la merde si ma livraison a été abimé ? Ca vaut une fortune Putain. »

Bon pas exactement, mais à mes yeux ces vêtements valaient de l’or. C’était le produit de mon dur labeur, mais enfants presque. Toutefois une idée germa dans mon esprit. Vu que c’était de sa faute si j’arrivais en retard, elle me devait bien un service non ? Je me rapprochais d’elle avec un sourire mauvais, qui pourtant se voulait de bonne grâce, articulant avec le même ton qui se voulait rassurant mais qui finissait par être menaçant :

« Tu me dois un service meuf pour ne pas te faire regretter ton imprudence. Accompagne-moi dans ma course et on sera quitte. »

J’aurais enfin une Jiji à présenter, j’allais pas laisser passer l’occas’ tout de même.

Elle était sérieuse la meuf ? Avec toutes les voitures dans Tokyo, je préférai être un hors-la-loi que mort. Mais faut pas demander trop à une brune comme elle, même si elle avait un goût indéniable pour ses vêtements. Quoique la paire de talons cassée fût du theme « j’ai la poisse aujourd’hui. » Cela expliquait la mauvaise humeur de la demoiselle. Et puis elle avait raison, si on y réfléchissait bien, j’étais assurément en faute.

Mais désespéré aussi.

Au moins ça remarque me faisait bien rire. Elle pose pour des pub’, et alors ? Elle croyait que ça allait gêner, je ne pus m’empêcher de lui rire au nez à cette remarque :

«  T’es donc une potiche pour les magazines ? Mais j’crois qu’on s’est mal compris meuf. J’ai pas demandé de coudre avec tes doigts de princesse, juste te faire passer pour une couturière. En plus si t’es connu, ça fait de la pub pour mon client et pour toi, ça te fait pas passer pour une nunuche qui sait rien faire. De plus… »

Un geste rapide et je subtilisais son portable qu’elle avait gardé à la main. Elle aurait eu du mal à résister avec ma taille. Ne jamais sous-estimer un gars dans la merde. J’étais plus à mon premier chantage de toute manière, je finirai probablement grillé en enfer sur de la sauce tokiyaki pour cette action. Mais c’était vraiment archi ultra important.

« Une star sans téléphone, ca le fait pas. Il reçoive plein d’appel de leur manager, ce genre de trucs non ? Le deal, c’est juste de pointer chez les clientes, dire que t’es Jiji, on sera quitte et je te rends ton portable. En bonus, tu te feras mousser à sa place. Quelle chance non ? »

Pourquoi je lui donnais un nom aussi ridicule ? J’étais vraiment tombé bas là. Mais c’était pour les affaires. Je ne pouvais pas laisser filer une occasion comme celle-là. Même si probablement avant la fin de ma course j’aurais envie de m’enterrer.

Et blabla et blabla. Nan mais elle croyait que j’allais avoir peur d’une naine comme elle ? J’étais dans une situation désespérée. Enfin plus une occaz’ rare. En mettant un faux visage à Jiji, on arrêterait enfin de me poser la question sur son identité. Il n’y avait rien de plus frustrant de ne pas devoir y répondre. Les grandes pontes masculines des pétales et je n’avais SURTOUT pas envie d’avoir cette étiquette collée à ma peau. De peur qu’elle s’incruste réellement. Mais même  si elle me menaçait, elle accepta ma requête. Elle était stupide en fait ? Bah ça m’arrangeait. Je lui souriais simplement, rangeant le portable dans ma poche.

« Pas de soucis princess, je suis un homme de parole. C’est pas loin. »

Je récupérais  mon vélo et je continuais mon chemin d’un pas rapide. Moi non plus je n’avais pas envie que ça s’éternise. Si je pouvais retourner rapidement en cours, ça m’arrangerait. Même si j’aurais sans doute quelques heures de colle, j’avais promis de montrer à Soso une nouvelle partition. Et puis je devais récupérer les cours, ensuite courir à la superette faire le repas, puis réviser… Rien que d’y penser, j’en baillais. Je pourrais dormir pendant la retenue, comme quoi il y avait du bon d’être un sécheur confirmé, surtout que les profs revenaient qu’en fin d’heure.  Je jetais un léger regard vers la mannequin qui m’accompagnait. Elle devait avoir passé la vingtaine, c’était une vieille quoi. Malgré tout, elle était dans le showbiz. Etait-elle une fille à papa ?

«  Dis, ça fait quoi de poser pour des magazines ? J’veux dire j’ai entendu dire que les photographes était des tortionnaires puis que les mannequins ont un emploi de temps chargé… ‘Fin c’est pas comme si ça m’intéressait en fait… »

J’avais dévié le regard, légèrement gêné. Oui, je l’avais menacé, mais j’étais embarrassé pour une question à la con. Mais bon il fallait meubler le temps d’arriver, puis merde, j’avais jamais été aussi proche d’une star, j’avais aucune idée de ce qu’il fallait faire ou dire. Je ne savais même pas pourquoi je me cassais la tête à faire la conversation. Je savais juste que je commençais à m’en vouloir de la traîner dans cette histoire. Mais ma cliente commençait à devenir vraiment insistante. La dernière fois elle m’avait retenu deux heures en me suppliant une rencontre avec Jiji.

J’en avais encore des frissons.

Etrangement, la vieille avait répondu à mes interrogations  sans trop rechigner. Et puis, cela ne semblait pas si différent que je me l’imaginais. Mannequin, ce n’était vraiment pas pour moi, j’étais trop grand pour un japonais, je n’avais pas un visage chaleureux, sans réelle exotisme et un sourire mauvais, bref, rien de très photogénique. C’était pour cela que je doutais percer en tant qu’idole. Mais rêver était beau, on ne pouvait pas m’en vouloir pour ça.

Ce n’était pas comme si j’avais une chance de toute manière.

Mais la suite, elle m’avait rire. Je savais que c’était sans doute pas qu’il fallait, mais elle était marrante. Elle avait raison, elle ne restait qu’une vieille, je n’avais pas besoin d’être intrigué.

«  Désolé, l’image est hilarante. mais on va pas dire que je sache grand-chose de ta personne pour parler d’autre chose. Mais c’est mieux que de se regarder dans les blancs des yeux quand même. »

J’étais de bonne humeur. Elle ne semblait pas trop coincée pour une riche, c’était une bonne chose. Toutefois, c’était la première fois qu’on me traitait de gosses. Ca me plaisait, je n’allais pas mentir là-dessus.

« Oh, sinon je préfère te prévenir, ma client est une vieille peau, elle offre des cookies mais il faut surtout pas faire un commentaire sur son âge si tu veux un pourboire… Mais sérieux, t’es la première à me traiter de gosse. T’es voyante c’est ça ? T’as vu ma carte de lycée qui est tombé lors de ma chute. »

J’étais curieux, simplement.

Cette femme était vraiment strange. Personne ne voyait que j’étais lycéen normalement, parce que justement j’avais une tronche de vieux. Mais en fait, peut-être qu’elle parlait de l’attitude. C’était un peu raide d’un côté de se dire qu’on se comportait comme un gosse, mais il était difficile de gueuler le contraire. J’étais trop impulsif des fois, je boudais comme un gosse, j’étais plus dur que du roc quand j’avais une idée en tête. Un vieux, ça fait des compromis, il s’écroule sur le canapé pour regarder la télé alors qu’avec le net tu peux tout faire. Je ne savais vraiment pas quoi penser d’elle, mais je souriais comme un con malgré tout. Même si c’était que pour un instant, la course était fun même si elle m’avait mis en retard.

« Y’a que toi pour voir ça… Mais tu ne devrais pas sousestimé mémé femme bourge depuis un millénaire… »

Et là le drame, en fait la mannequin manquait encore plus de tact que moi, devant l’expression de la mère et de son enfant, je riais comme un méchant de dessins animés. Je m’étais accroupi au niveau du gosse qui vibrait comme un tambour. Sa mère me faisait rire, à raconter des conneries comme celle-là. Je lâchais avec une pointe d’amusement :

« T’inquiète, le père Noël existe, mais évite de lui demander des trucs trop cher, même la crise touche un mec en Laponie. D’ailleurs, il doit bien ressembler à ton père sans la barbe n’est-ce pas? Tu t’en rappelles bien hein ? Tu devrais lui demander, c’est peut-être son fils. A moins que le bonhomme te cache son identité secrète. Dans ce cas, fais le raquer pour tous les trucs qu’il a pas voulu te donner à ton anniv’. »

La mère était livide et le fils questionnait sur sa paternité avec le gros monsieur. Je m’étais relevé, m’étirant par la même occasion. J’avais repris mon vélo et la marche, tout naturellement. Au fond, c’était à lui de se rendre compte de la fin de l’enfance. Mais cette bonne femme l’avait bien cherché. Dans la vie, y’avait rien qui tombait du bec, sinon personne aurait des problèmes d’argents. Même si d'ici quelques minutes, je m'en mordrais les doigts

« C’est cette immeuble-là, au Cinquième. Rappelle-toi, Tu es Jiji, tu souris bêtement et tu fais rien pour te faire prendre et je te rend ton bien. Prête? »

Un sourire s’affichait sur mes babines comme unique réponse. Si je devais y mettre des mots, ce serait sans doute parce que c’est lui le vrai Père Noël. Ton père, c’était celui qui te mentait pour ne pas dire qu’il n’y aurait pas assez pour manger convenablement en ce fin de mois, à cacher toutes ces épreuves pour que sa famille soit bercé de petits bonheurs. Mais c’était trop honteux à dire à vive voix, alors on en resterait là. Une interrogation en suspens dans l’air. Un secret d’un inconnu jamais révélé.

Car nous n’étions que cela, des inconnus au bataillon, avec du chantage en plus.

L’ascenseur mit une plombe à monter ces cinq étages. J’avais abandonné mon fidèle destrier à l’entrée et maintenant je faisais face à la porte de l’appartement. Je jetais un dernier regard vers la mannequin une dernière fois vers la mannequin avant de sonner. Je l’encourageais mentalement avant cette épreuve.

Alors, la vieille sortit, les yeux pétillants en me voyant à l’entrée. C’était une dame pas très grande, pas très grosse non plus. Bon, elle avait quelques kilos sur les hanches avec les années, mais elle restait bien conversée avec les années, surtout qu’elle se cachait sous trois couches de maquillage et des colorations strictes. Mais travailler pour elle était un plaisir, parce qu’elle avait une morphologie facile à habiller. Elle nous invita entrer roucoulant :

« Tu n’as pas oublié les précieuses j’espère. Et cette dame , ce ne serait pas ….

-Oui, la grande Jiji, j’pose la marchandise comme d’hab. Je vous laisse faire connaissances. »

J’abandonnais  la demoiselle à son triste sort d’imposture, pour poser dans le dressing. Elle allait crouler sous les compliments, mais aussi sous les anecdotes de cornes de pied. J’en pouffais rien que d’y penser. Je me servais un gâteau sur la table du salon avant de les rejoindre. Tiens elle présentait la dernière robe que je lui avais livrée, un tailleur aux couleurs fantaisistes.

« Je me demande où vous avez eu l’idée pour rendre un modèle aussi basique une tenue unique !  Peut-être chez les nouvelles tendances ? Une muse ?

- J’avoue que ça m’intéresse aussi… N’est-ce pas Jiji? »

Un  sourire mauvais s’affichait sur mes lèvres. J’étais juste curieux de voir  comment elle avait s’en sortir. Elle était une professionnel après tout, elle avait surement de quoi se sortir de ce mauvais pas. Ou peut-être pas. Je préparais le reçu, avant que je m’en mordre les doigts de laisser une inconnue me couvrir.