L'espace d'un instant, j'avais espéré que notre invité ne soit pas Lui. C'est vrai, cela aurait pu être une parfaite coïncidence que nous L'ayons croisé à Shibuya – enfin, une chance plutôt... Ce n'est pas comme si cet arrondissement était un des plus peuplés de Tokyo. Même lorsqu'il nous avait salué : je pensais qu'il avait demandé à Shinjiro ce qu'il faisait ici parce qu'il n'était pas au courant de son retour au Japon – ce qui, après mûre réflexion m'étonnais : ils étaient bons amis, et le Prince savait annoncer son retour... Il était donc impossible qu'Il ne soit pas au courant de la vraie nature de ce rendez-vous. Ou peut être étaient-ils censés se retrouver juste tous les deux ? Mais alors pourquoi m'avoir conviée à cette rencontre ?

Malheureusement, il était impossible de croire que les choses c'étaient déroulées ainsi. Je connaissais mon frère comme si je l'avais fait : il avait des idées foireuses. Mais malgré tout, je n'avais même pas pu prédire son coup lorsque la conversation bifurqua sur Kakihara Ryōhei, un de ses amis. Je le connaissais : Shinjiro me parlait de lui de temps en temps, il était même venu à la maison ou chez mon frère – quand il était sur Tokyo – alors que j'étais en vacances chez lui. Du coup, je savais parfaitement de qui il parlait. Même si je n'avais jamais eu l'occasion de lui parler. Je me demande d'ailleurs si il savait qui j'étais. Sûrement, on avait bien dû se croiser quelques fois, même si nous n'avons jamais parlé. Enfin, mon frère avait fini par comprendre que je l'aimais vraiment bien – et que si j'avais la possibilité de mieux le connaître je la prendrais ! C'était pour cela que Ryōhei était « notre » invité aujourd'hui. Donc, malheureusement... Oui et non. Oui parce que j'aurais aimé apprendre à le connaître dans d'autres circonstances ; Non parce que j'étais tout de même contente de le revoir, d'être en face de lui pour de vrai. Il n'avait pas changé : il avait toujours cet air, ce regard. Je  le trouvais classe, moi. D'après ce que Shinjiro me racontait, j'en avais déduit qu'il était quelqu'un de juste, de mature et d'intelligent. Je me demandais d'ailleurs comment ils avaient fait pour se rencontrer et finir par s'apprécier : il était tout l'inverse de Shinjiro. Et... Lui au moins, il était habillé convenablement pour un premier rendez-vous : simplement, mais je trouvais que ça lui convenait parfaitement.

Alors que moi... Je commençais à me maudire intérieurement alors qu'ils se saluaient. Même la plus ridicule des robes passerait mieux à côté de ce short et ce t-shirt. Il devait me prendre pour une tomboy ou je ne sais quoi. Heureusement que j'avais les cheveux longs – et que je m'étais bien coiffée aujourd'hui. C'était tellement embarrassant que mon frère nous ai organisé un rendez-vous. Je ne savais pas vraiment où me mettre. Je restais donc assez discrète. Mais cela ne dura pas très longtemps, car Ryōhei porta rapidement toute son intention sur moi, mettant au passage un vent à cet imbécile de Shinjiro. Il s'était tourné vers moi avec un sourire et avait capturé mon regard par la même occasion. Encore une fois, j'avais espéré. Espéré qu'il dise autre chose que : « … Salut ? Tu es sa petite sœur ? ». Se prendre cette phrase en pleine figure valait bien un poignard dans le cœur. Moi qui pensais qu'il me connaissait... Mon amour était vraiment à sens unique ! Intérieurement, j'étais comme un de ces personnages de manga qui venait prendre un coup dans son orgueil, mais extérieurement je souriais. En fait, pour être honnête, je n'avais pas quitté sesyeux. J'étais resté calme... Jusqu'à ce que je me rende compte qu'il fallait que je réponde quelque chose. Que dire... Il n'avait pas l'air de me connaître alors... Se présenter ! Oui, il fallait que je me présente : je m'inclinai tout en lâchant précipitamment une présentation bidon.

« Takenotoshi Hiyori ! Je suis la sœur de Shinjiro ! Enchantée de vous rencontrer, Kakihara Ryōhei ! »

Je manquais terriblement de tact. Pourquoi avais-je dis son prénom ? Pourquoi l'avais-je vouvoyé ? Que c'est embarrassant ! Je m'étais relevée d'un seul coup en réalisant ce que je venais de dire. Évidement, mon frère ne pu s'empêcher de me faire la réflexion. Oui, il n'avait pas bougé. Comptait-il rester... ? Au point où j'en étais...

« Oh ! Impressionnant ! Tu as même retenu son prénom ! Hiyori, tu m'épates ! Mais tu peux le tutoyer je pense... Il est pas si vieux qu'il en a l'air ~ »

Ça paraissait innocent, dit comme ça... Mais je connaissais parfaitement le fond de sa pensée : il se fichait complètement de ma figure ! Je le sentais, maintenant. Alors que j'avais fait des efforts pour que cela n'arrive pas... Le sang me montait à la tête. J'étais sûrement rouge comme une tomate.

« Te fou... » je n'avais même pas eu le temps de terminer qu'il reprit la parole, cet impoli :

« Bon, je vous ai réservé une table dans ce restau' ! Allez-y, c'est au nom de Monsieur si mes souvenirs sont exacts ! J'vous laisse vous débrouiller, vous êtes grands !  »

Il se rapprocha ensuite de moi pour me chuchoter :

« Allez ! profite de ta surprise, sœurette. Il est pas méchant, il ne va pas te mordre !
- Ma vengeance sera terrible ! » lui avais-je répondu sèchement, aussi discrètement que possible.

Il ne prit pas en compte cette menace et me poussa gentiment vers Ryōhei en lui lançant : « Je te la confie ! Prends-en grand soin, mollusque ! Elle est un peu timide au départ, mais elle est mignonne... Même si elle a pas tellement fait d'effort aujourd'hui ! ». Un dernier clin d’œil à son ami et le voilà parti. J'allais. Le. Tuer.

Maintenant c'était officiel : nous étions... tous les deux. Il fallait que je dise quelque chose, ma timidité ne devait pas venir m'embêter dans une telle situation... Shinjiro m'avait déjà humiliée. En plus, je m'étais terriblement rapproché de Ryōhei, toujours à cause de cet imbécile – j'avais failli lui tomber dessus. N'ayant pas vraiment d'idées, je me dis que parler de ce restaurant en serait une bonne :

« T... J'imagine que cet endroit t-t'es inconnu aussi, ne ? Ça fait aussi parti de son plan... » j'inspirai profondément puis lui souris : « On y va ? »