Pourquoi ? C’était toujours cette question que je me posais avachi sur la table. Pourquoi j’avais dit oui à Atsuko ? Le monde des fêtes était un univers extraterrestre au mien, franchement je ne m’y sentais vraiment pas à ma place. J’étais le plus jeune de la boîte, sans doute le seul mineur du coin, le son me cassait les oreilles à être aussi fort, je voulais me les arracher si cela pouvait les apaiser. Vraiment je ne savais toujours pourquoi j’avais accepté, j’aurais pu tout simplement rentrer chez moi et m’occuper du repas. La vieille aurait apprécié le gaspacho, le vieux, la viande mariné, j’aurais pu plancher sur le cours que je venais de récupérer auprès de Soraru. Mais non, comme un idiot, j’avais préféré cotôyer des illustres inconnus qui suait comme des porcs.

Tout ça pour ne pas voir la tronche de mon frère.

Au début, j’avais tenté de faire comme tous ces boulets, discuter de choses et d’autres, autour d’un verre d’alcool que m’avait offert Atsuki. Je n’aimais pas l’alcool mais cela me donnait l’impression d’enfreindre un interdit, alors j’avais tenté, pour la curiosité. Mais franchement, ça ne changeait pas du verre de saké que m’offrait le vieux une fois par moins. C’était même moins agréable pour tout vous dire. Là encore, c’était agréable, les vieux avaient des conversations qui changeaient de mon quotidien.

Et puis ils avaient voulu danser, alors je les avais abandonnés. «  Plutôt crever» Moi et ma langue, on devrait se pendre. Je n’aimais pas dansé, je n’avais jamais compris l’intérêt de se dandiner en groupe, à partager sa chaleur corporelle et à mélanger les haleines de chacals. On avait beau me dire que c’était pour les filles, cela restait un discours obscur. De toute manière, je n’étais pas venue batifoler et puis, elles étaient tous laides et sans intérêt particuliers. Elles portaient très bien leurs habits d’apparat tout aussi superficiels qu’elle. Je n’avais même pas de quoi m’inspirer pour une robe ou même un haut. Je m’étais remis bien sur mon siège, regardant cette parade grotesque

Pour l’instant, mon seul espoir était d’attendre une bonne âme qui voudrait converser avec moi. Mais les miracles ne se commandaient pas.

Ou peut-être que si. Un jeune homme était venu vers moi tout aussi rassuré que moi de m’avoir trouvé. J’étais presque certains que mes yeux brillaient alors qu’il s’asseyait à côté de moi. Il se présenta de nouveau devant moi, même si je me rappelais encore de notre duel au bowling. J’étais enchanté de le revoir, on s’était bien amusé la dernière fois. Je hochais la tête d’un sourire amusé, m’esclaffant :

« Comment j’aurais oublié la pâté que je t’ai mis à la première partie ? Mais bon à la deuxième je t’ai laissé gagner… Et c’est  Genji, si tu avais oublié. »

Bon, il avait gagné par son talent, mais c'était trop tentant. Franchement, je ne pourrais pas rêver mieux comme camarade de déboire.  Coude sur la table, le poing sur ma joue, je continuais de sourire. Atsuko l’avait traîné aussi ? Ahah, ce bougre avait vraiment bien fait !  

«  Alors toi aussi tu te fais chier ? J’aurais pensé que tu étais plus du genre à rester tranquille chez toi… »

Je n’avais aucune donné pour prouver mes dires, mais c’était l’instant. Que ce soit vrai ou nom, ça importait peu. J’avais juste besoin de parler un peu et m’assurer qu’il n’était pas venu par pitié. Ce serait vraiment la honte sinon.

Mais avec un peu de bol, la soirée serait moins longue à présent.

J’avais ri à sa remarque. Il était vrai que je ne l’imaginais pas danser. Dans ma tête, je le voyais au mieux  secouer des maracas comme ça se faisait des fois dans les karaokés, mais rien de plus festif. Il semblait être du genre à rester au bar, en espérant que la soirée passe plus rapidement s’il finissait bourré. Et quand il dépassait ce stade… Ca ne concernait plus que lui et je m’en foutais royalement. Ce qu’il comptait c’était qu’il s’était retrouvé au même endroit où je me faisais chier, il n’y avait rien de plus à demander.

Mais il me cloua le bec en me demandant la raison de ma présence.  Mon visage était passé à la tête d’un mec qui trouvait sa meuf dans le lit d’un autre. A vrai dire, je pourrais mentir, mais c’est vil de tricher devant le mec qui venait de me sauver la vie – oui je me faisais chier à ce point-. Alors je choisis le silence en buvant mon verre cul sec. Parce que le silence, c’était la bonne manière de dire que ce n’était pas le moment de me poser cette question.

Surtout que ça me demandait de penser à mon frère que j’avais fui en venant ici.

Et finalement, il passa du mec trop curieux au sauveur 2.0. Aller dehors, on pouvait? Je l’avais suivi comme un caniche, les yeux pétillants d’admiration pour une telle intelligence. Ouais j’étais con quand je m’y mettais. Arrivé dehors, je ne pus m’empêcher de lâcher un soupire de plaisir. A nous la fraicheur de la nuit !

« Putain, si j’avais su j’serais sorti direct… »

Je m’étirais tranquillement, savourant l’air frais qui réveillait mes muscles. La musique était moins insupportable, même la fumée des nombreuses cigarettes n’était presque pas gênante. Pour ce miracle il méritait sans doute une explication. Je m’étais tourné vers Yoîchi, lui décochant un sourire canin avant d’articuler sur le ton de la confidence :

« C’est la première fois que je vais en boîte .Je me suis fait trainer  dans ce piège. Atsuko m’avait promis de me payer un verre donc je suis venu. J’ai pas l’âge normalement, mais les vigiles jugent à la tronche, donc j’ai pas eu de soucis à rentrer. Mais ça reste entre nous okay ? »

Le doigt sur mes lèvres, je riais comme un demeuré. Je n’avais pas menti après tout, l’interdit était ce qui m’avait poussé à la faute, aidé par l’agacement à savoir l’aîné dans le même appartement que moi.

« Puis je pourrais te retourner la question. Si tu veux pas danser, rien nous empêche de t’éclipser, l’alcool ça se trouve à tous les convini nan ? »

Donc ce n’était pas pour l’alcool qu’il était venu ?  Je penchais la tête, intrigué par son blablatage. N’était-ce pas ce que recherchait les vieux, à ne plus être eux-même ? Yoîchi était vraiment un mec étrange, c’était ce que je n’arrêtais pas de penser. Si tu n’aimes ni chanter, ni boire, alors à quoi bon traîner dans une boîte? Nan, je ne voyais pas. Mais ne cherchons pas plus loin.

« Deux secondes, j’ai un truc à récupérer. »

Je courrais jusqu’à l’entrée, pour récupérer mon vélo et nous voilà en route. Mais cela n’avait pas tari mon interrogation. Pourquoi il était venu en premier lieu ? La roue grinçait  sur notre sillage, dans un silence étrange. Pourquoi ? C’était peut-être parce qu’il se retrouvait avec moi. Dans ce cas serait de ma faute s’il ne s’amusait pas comme il voulait.

Et merde, je commençais à culpabiliser pour avoir fait capoter les projets de mon sauveur.

Le convini se profilait au bout de la rue, mais mon poids sur la conscience m’empêchait de m’en réjouir. Pourtant j’étais content qu’il soit là, mais paradoxalement, si j’avais foiré sa soirée, c’était vraiment con.

« … Désolé si j’ai détruit ton plan. C’est juste que… Je sais, si je t’achète une glace, on sera quitte ! »

Après tout on était en été, même en soirée il faisait bon dehors. Ouais, ça me semblait un bon compromis. J’entrais dans le magasin, me jetant dans le rayon surgelé. Le paradis des glaces et des plats préparés immondes, ceux qui prennent une marge trop élevé et donc qu’on ne pouvait pas se permettre d’acheter. Je repérais deux parfums en promo. Je me tournais vers mon camarade, les yeux pétillants comme un gosse.

« Eau de mer ou Pastèque ? »

Je pourrais aussi en ramenait aux vieux, c’était un peu une folie, mais c’était de l’argent que j’avais gagné par la force de mes bras. Et puis pastèque, c’était le goût préféré de Toto… Je secouais la tête, pour oublier ce scélérat. Je ne voulais pas lui faire plaisir, c’était juste parce que c’était celle que je préférais aussi. Mais l’eau de mer attisait ma curiosité.  Je savais que mon père adorait, mais je n’avais encore jamais goûté jusque-là. Ah ! J’avais oublié de préciser un truc.

« Et ne t’inquiète pas, mon argent est clean ! Enfin à peu près … »

Si on comptait que je n’avais pas menti sur mon CV…

Pastèque, c’était un bon choix, tant pis pour la nouvelle expérience. Sans doute aurais-je dû proposer un goût plus commun, mais cet exotisme m’avait emporté dans son sillage. J’étais faible quand même. Malgré tout, j’avais le sourire aux lèvres. Il avait accepté mon cadeau, et ça déjà, c’était cool. Après tout, on s’amusait bien, même si ce n’était que des achats. Je laissais mes yeux trainer sur les rayons, tentant de repérer les bonnes affaires. Je retombais en enfance, comme quand j’accompagnais la vieille. Maintenant, on se battait avec Toto pour savoir qui aurait la charge des courses, c’est tellement con pourtant. Quand on n’était pas pressé par le temps, ce lieu devenait magique.

Je redevenais un gosse.

Mes yeux se perdaient dans la boutique, je n’avais presque pas capté le commentaire sur la taule. J’avais jeté mon dévolu sur un dentifrice à moitié prix et je tentais de savoir si ça valait la peine de le prendre. Celui-là, Toto l’aimait bien, il n’ira pas gueuler sur le goût infect. Yôichi lui admirait les shampoings et me demanda le gel douche de mon frère, je lui lâchais mécaniquement :

« Lui c’est … QUOI ? »

J’en avais fait tomber le tube. Wait, what ? Pourquoi son gel, et puis d’abord, il le connaissait ? J’avais freezé, fixant comme un poisson rouge. Comment ? Pourquoi ? Des tonnes de questions fusaient dans ma cervelle. Je tentais d’articuler quelque chose, mais seules des onomatopées.  Je secouais la tête, tentant de mettre un peu d’ordres dans mon esprit. Je tentais d’articuler, non sans une certaine froideur :

«  Comment tu connais Toto toi ? …. Nan en fait, j’ veux pas savoir,  mais vraiment pas… »

Je ne voulais pas, parce que je ne désirais pas le détester. C’était mon sauveur dans cette soirée merde, je lui étais redevable. Dépité, j’esquivais son regard et pointais un gel douche. Et merde, même si j’avais pas envie de répondre, c’était juste trop impoli pour mon camarade de l’ignorer. « C’est celui-là », avant de m’enfuir comme un voleur. J’avais payé à la caisse en trombe et j’étais sorti de la supérette comme animé par un démon. Mais le laisser seule retint dans ma fuite, et au lieu de cela, je serais comme un clodo au pas des portes coulissantes. Accroupi comme si on venait de m’apprendre la mort du vieux.

Réfléchis Genji, il doit bien avoir une solution qu’il le mette pas dans la même case que ton frère. Peut-être qu’il voulait savoir parce que  l’odeur lui rappelait des souvenirs d’enfance ? Peut-être un pari d’Atsuko ? Ouais ça pouvait être ça,  cela DEVAIT être ça. Je n’avais pas envie  de le haïr Yôichi, il était sympa, pas lourd. Mais vu comment j’étais parti, il devait avoir la rage. Et merde, pourquoi ça ne pouvait pas se passer sans que ça tourne autour de mon frère ?

J’avais pas envie de revivre ça une nouvelle fois.

J’avais relevé, la tête à l’entente de sa voix. Fallait pas être devin pour voir qu’il voulait mettre les points sur le i. Mais j’avoue que je ne savais pas vraiment si je voulais savoir. J’aimais bien mon idée de pari, ça avait de la gueule, ça ne me demandait pas de me demander comment ça se fait qu’il côtoie mon connard de frangins. C’était trop demandé, sans doute. La vie était rarement comme on le voulait. J’étais pas une idole, on se galérait pour payer le loyer, j’avais aucune poêle qui ne collait pas.

Alors j’étais sûr que ça allait mal se passer.

Je l’écoutais, mais je ne voulais pas entendre. Je ne voulais pas me demander pourquoi, même si c’était rassurant de savoir qu’il n’était que collègues qui se voient occasionnellement. Ouais, il me suffisait simplement de me dire ça pour me rassurer, et malgré tout, j’avais sifflé avec véhémence :

« Ca me fait une belle jambe. »

Dérapage. Ma gueule se déforma par culpabilité. Putain, comme si j’vais pas déjà fait assez de conneries comme ça. Je m’étais relevé, me grattant le coup avec une gêne certaine. Faudrait vraiment que j’apprenne à tourner sept fois la langue avant de parler, ça éviterait tellement de désagréments comme celui-là. Je bredouillais maladroitement :

« Désolé, mais ça me gave de parler du frangin. J’sais bien que c’est ton pote mais… Juste évite, de prononcer son nom en ma présence. Comme ça tout ira bien, n’est-ce pas ? »

Je tentais de décocher un sourire canin, mais je n’y croyais pas. Mais faisons comme ci, je n’étais pas là pour trop me soucier de tout ça. Je n’étais pas resté chez moi pour emporter mes soucis. Juste pour une fois, j’avais voulu vivre autrement, voguer dans la nuit comme un bateau sans gouvernail. A trop travailler, à trop courir dans les rues de Tokyo, j’avais presque jamais le temps de voir mes potes. C’était l’inconvénient de la sèche, il devait compliquer d’entretenir des relations conventionnelles avec les gens. J’avais perdu pas mal d’amis à cause de ça, et même ceux que j’avais encore devait supporter mes demandes. Soso, si tu entendais ces paroles, sache qu’un jour, je te payerai un glace pour tous les cours que tu m’avais passés.

Quand ce sera moins la dèche.

J’ouvris le sachet de la glace et je le croquais à pleine dent. Ce goût sucrée me rappelait les vacances, l’une des rares que nos parents avaient pu payer, à la mer. A l’époque, je ne détestais pas encore Toto, je ne me posais même pas la question de l’amour. La jeunesse avait du bon quand même.

« Pourquoi la mer est si loin de Tokyo ? Cela aurait parfait de se poser sur le sable là… »

Question stupide, mais c’était ce qu’il manquait. Cela aurait été tellement agréable d’y regarder les étoiles.


Mais avec un peu de bol, la soirée serait moins longue à présent.

Il n’avait pas tort, la plage, c’était un truc de tafiottes. Non pas que je n’aimais pas l’eau chaude et le sable collant, enfin si mais ce n’était pas le problème ici, mais deux mecs en pleine nuit avec pas un rond, ce n’est pas forcément une activité très divertissante. Au mieux, on pouvait se baigner, mais le bain de minuit n’était pas mon truc tout simplement. Je soupirais, parce qu’il n’y avait pas d’autres choses à faire. Je répondis à sa proposition d’un air dépité :

«  Trop cher, et c’est mieux le jour. Les arcades c’est pas la peine, à moins que t’aime perdre toujours contre l’IA… Attends, y a pas un festival ce soir ? Genre un truc bidon au fond d’un parc… »

Mais rien à faire, je n’arrivais pas à me souvenir si c’était vraiment le cas ou non. Ce surplus d’émotions avait embrouillé le cerveau. Je croquais de nouveau dans ma glace, à m’en geler les gencives et je levais la tête vers les cieux. Parait-il que dans les montagnes, il était possible de voir la Voie Lactée, mais ça ne restait que chimère. Jamais je n’étais parti de Tokyo, alors il m’était tellement difficile de voir toute la grandeur de cet Univers. Peut-être que Toto le pouvait, lui et sa bizarrerie. Mais je ne voulais plus lui ressembler, plus jamais je ne féliciterai ce qu’ils faisaient. Je ne voulais pas qu’une brèche s’ouvre sous mes pieds, à me dire que jamais je n’aurais de neveu ou de nièce.

Ni même ne serait accepté dans ce monde.

Peut-être que si je fermais les yeux, alors je n’aurais jamais à faire face à cette situation. Mais cette journée me rendait songeur. Et dire que c’était moi qui ne voulait plus penser à lui il revenait comme un boomerang. Ce traite de frère n’a-t-il jamais tenté de changer, d’aimer les filles ? Etait-ce possible au moins? Je jetais un coup d’œil vers Yoyo. En y pensant, il était probablement son type. J’en avais des frissons de dégoût. Je priais intérieur que quitte à devoir supporter un autre gay, qu’il ne soit pas dans mes amis. J’aurais à haïr quelqu’un d’important pour moi, et je n’avais pas franchement de recommencer l’expérience. Alors je souriais à Yoyo, lâchant avec légèreté :

« Alors ça le fait la pastèque ? »